La contribution parentale post-rupture

Oui, car la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant (C3E) est déductible des impôts pour le parent qui la verse, le père dans 97% des cas. C’est une niche fiscale pour les plus aisés (2) dont la suppression pourrait rapporter 450 millions d’euros à l’Etat.

Les parents en couple, eux, ne défiscalisent pas les frais engagés pour leurs enfants. Du point de vue fiscal, c’est une inégalité familiale.

Suivant cette logique patriarcale, la C3E est fiscalisée pour le parent – les mères, en pratique – qui la perçoit. Elle est donc imposable, avec, pour conséquence, une augmentation éventuelle de l’impôt sur le revenu et des tarifs de cantine, de garderie, d’activités périscolaires calculés sur le revenu fiscal de référence. Percevoir une C3E augmente donc les charges d’entretien et d’éducation du parent gardien.

Seulement un quart des familles monoparentales sont imposables, ce n’est donc pas le plus problématique. Ce qui l’est, c’est la prise en compte de la C3E dans le calcul des aides sociales versées aux plus précaires, lesquelles voient ainsi le montant de leur RSA ou de leur prime d’activité diminuée d’autant. Percevoir une C3E peut donc faire baisser le revenu disponible des mères les plus précaires. Preuve par l'absurde, s'il en fallait, que...

La "pension alimentaire" n’est pas un revenu !

Pour lutter contre l’appauvrissement des parents isolés, d’importantes mesures spécifiques de compensation sociale (3) ont été mises en place depuis les années 70 et la hausse continue des divorces. Sans ces politiques, la situation des familles monoparentales serait aujourd’hui tout bonnement catastrophique.

Une de ces aides phares est l’allocation de soutien familial (ASF), la pension alimentaire d’Etat. Elle se substitue aux défaillances des pères lorsqu’ils ne paient pas, ne paient que partiellement, ou paient une pension alimentaire (privée) d’un montant insuffisant pour répondre aux besoins de l’enfant. Et ils sont majoritaires.

L’ASF est, également, considérée comme une ressource pour la mère. Son montant est donc aussi, en majeure partie, déduit du RSA et de la prime d’activité… Et elle est supprimée si vous n’êtes plus « isolée ». C’est-à-dire, suivant la logique patriarcale toujours, si vous vous remettez en couple avec une personne – considérée comme un père putatif – qui pourvoira à vos besoins et ceux de vos enfants.

Il n’en fallait pas tant pour que les pères se sentent affranchis de leur obligation alimentaire, la première de leur responsabilité parentale. La France se distingue ainsi, en Europe, par la rareté des « pensions alimentaires » versées (4) :

Seulement ¼ des mères séparées déclarent percevoir une contribution

Puisque la pension alimentaire d’Etat garantit un « revenu de subsistance » aux mères, pourquoi les pères en paieraient-ils une ou une trop élevée ? Aujourd’hui, un quart des parents solvables n’en versent pas (5), on estime qu'un tiers ne sont pas ou partiellement versées et les juges aux affaires familiales (JAF) entérinent cet état de fait en fixant peu de contributions ou alors d'un montant très peu élevé (6).

C'est aussi le résultat de leur mode de calcul. Le barème de la justice, sur lequel se base autant les JAF que les parents lors des séparations dites "à l'amiable" ou par "consentement mutuel" pour fixer le montant des C3E, s'appuie d'abord sur les revenus et les charges des parents débiteurs.

Certains n’hésitent donc pas à singulièrement gonfler ces charges, à mettre en avant des crédits immobiliers qui leur permettront de se constituer un patrimoine personnel, voire à organiser leur insolvabilité. Exit les ressources personnelles de la mère, pourtant inférieures dans trois quarts des cas à leur ex-conjoints, et leurs charges à venir pour élever à temps quasi-complet leurs enfants. Et, surtout, exit les besoins de l’enfant réduits au strict nécessaire (alimentation, soins, vêtements, frais de garde).

Cette conception patriarcale renforce la stigmatisation des mères célibataires

Au final, le montant moyen des C3E s’élève à 190 € par mois. Pour rappel, un enfant de moins de 14 ans coûte en moyenne 625 € par mois (7). L’ASF a récemment été portée à ce niveau : c’était une nécessité et cela représente une grande bouffée d’air pour de nombreuses mères célibataires. Mais cela renforce aussi leur stigmatisation. C’est l’effet systématique des politiques familiales lorsqu’elles accordent des droits spécifiques à une catégorie de population. Les « familles nombreuses » en savent quelque chose.

Ainsi, alors que la façon dont, aujourd'hui, est pensée la "pension alimentaire" profite financièrement aux pères séparés, et qu’elle pénalise les enfants, les mères sont accusées de vivre aux crochets de la société. Effet collatéral, ces préjugés accentuent la conflictualité entre les ex-conjoints. L’ampleur – largement fantasmée – des « aides sociales » que recevront les femmes est systématiquement avancé comme un argument lors des séparations pour faire baisser, encore un peu plus, le montant de la contribution libéralement proposé par les pères.

Une situation intenable à terme pour les finances publiques

Si les femmes sont renvoyées – par l'ensemble de la société – vers l'assistance publique, elles ne la sollicitent pas pour autant de façon abusive. Près de la moitié des parents séparés qui pourraient y prétendre ne feraient pas la demande d'Allocation de soutien familial afin de ne pas faire perdurer le conflit conjugal, voire, plus souvent, les violences intrafamiliales... Car, à raison, le versement de l'ASF est conditionné à la saisine du juge aux affaires familiales.

Mais la réévaluation récente et significative de la pension alimentaire d'Etat ne va pas tarder à changer la donne. A 195 € par mois, il devient enfin intéressant, d'un point de vue économique, de saisir le juge pour demander la fixation d'une contribution parentale. On peut donc s'attendre à une hausse importante des recours à cette aide. Or, contrairement à ce que le grand public a compris – ou ce qu'on lui a fait comprendre –, la mise en place de l'Aripa, en janvier 2023, n'a pas réglé la question des impayés de pensions alimentaires (8)...

Ainsi donc, avec l'augmentation continue des séparations parentales, et si les montants des contributions fixés par les juges ou entre les parents ne sont pas réévalués, le "trou" creusé par les dépenses d'ASF dans la branche famille de la Sécurité sociale ne va pas tarder à se voir. Sur le long terme, la situation est intenable pour les finances publiques. D'une façon ou d'une autre, les parents débiteurs devront finir par assumer leurs responsabilités. C'est-à-dire, en bon français, par payer ce qu'ils doivent à leurs enfants.

La contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, toujours appelée "pension alimentaire", est un cas d’école du modèle patriarcal de la famille. Parce qu’elle est considérée comme un revenu pour la femme, elle est rarement versée, son montant est faible et son traitement par les services fiscaux comme sociaux... aberrant.

Le code civil, pourtant, est aussi limpide qu’équitable à son sujet : "Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant." En France, il n’est jamais appliqué.

NVEF milite donc simplement pour qu’il le soit. Mais il y a du travail ! En témoigne la dernière levée de boucliers de pères, pétition à l'appui, face à un amendement proposant de défiscaliser la contribution à l’entretien et l’éducation des enfants (C3E), son nom officiel. Nous l'appelons plus simplement "contribution parentale" (1).

(1) Afin que la société s'approprie cette contribution pour ce qu'elle est – une responsabilité parentale – et pour en finir avec la confusion avec les autres formes de pensions alimentaires et leur traitement socio-fiscal.

(2) Le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur le régime fiscal des pensions alimentaires (juillet 2019) décrit le phénomène, et évoque celui des fraudes. L'étude INSEE en note (5) mentionne un taux de 14% entre les pensions déclarées et celles versées sur un petit échantillon de déclarations fiscales.

(3) Parfaitement documenté dans l'Etat des savoir sur les familles monoparentales, rapport de la CNAF sous la direction de Marie-Clémence Le Pape et Clémence Helfter.

(4) « Pensions alimentaires : pourquoi ne sont-elles pas plus fréquentes et plus élevées en France ? », analyse de la sociologue Emilie Biland-Curinier, professeure des universités à Sciences Po, 30 mai 2023.

(5) Etudes et résultats INSEE, janvier 2021. Selon cette étude, deux parents sur trois versent un montant inférieur au barème de la justice.

(6) Les travaux de la sociologue Emilie Biland-Curinier démontrent qu'en 2007, ce n’est qu’à partir du SMIC qu’une contribution est fixée par le juge, et non au-delà du reste à vivre (équivalent au RSA) comme elle devrait l’être selon le barème de la justice. « En 2013, année de la création de l'ASF complémentaire, on observe néanmoins une augmentation de la part de petits montants fixés par les juges. En revanche, la part de dossiers dans laquelle une pension, en argent, est fixée, a diminué. » (entretien téléphonique, 22 août 2024)

(7) Cité dans "Le coût du divorce, ou comment le couple appauvrit les femmes", note #4 de l'Observatoire de l'émancipation économique des femmes de la Fondation des femmes.

(8) L’agence de recouvrement et d’intermédiation des pensions alimentaires (Aripa) remplit essentiellement, à ce jour et faute de moyens, un rôle d’intermédiation. Elle a été rebaptisée, de façon malheureuse, «service public de la pension alimentaire».

Pour que tous les parents assument les besoins de leurs enfants

  • Fixer systématiquement une contribution parentale post-rupture pour les parents non-gardiens, même d'un montant symbolique.

  • Instaurer leur prélèvement à la source, et les réévaluer annuellement automatiquement sur la base de l’inflation et des revenus déclarés par les deux parents séparés pour que chacun contribue effectivement, dans le temps, aux besoins de l’enfant à proportion de ses ressources.

  • Dès à présent, renforcer significativement les moyens de recouvrement de l’Aripa.

Pour un traitement socio-fiscal juste de leur contribution respective

  • Réformer le traitement socio-fiscal de la C3E comme de l’ASF pour que la totalité de la contribution parentale soit utilisée pour répondre aux besoins de l’enfant : ni la pension alimentaire privée, ni la pension alimentaire d'Etat ne sont un revenu pour le parent gardien. Déconjugaliser, en conséquence, l'ASF.

  • Intégrer, dans le calcul du quotient familial, une proratisation des parts fiscales selon le temps de garde passé par chaque parent avec l’enfant, c'est une mesure d'équité fiscale.

Pour répondre aux besoins réels des enfants

  • Réformer les modalités de fixation du montant des contributions parentales par le juge aux affaires familiales en prenant en compte le budget réel de l'ensemble des frais engagés pour l’enfant avant la séparation parentale ; les ressources et charges des deux parents, donc le reste à vivre de chacun selon le mode de résidence décidé, devrait être pris également en considération.

NVEF milite pour la stricte application du Code civil en matière de contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant. Il s'agit d'une "contribution" et non d'un revenu ; elle doit être calculée "selon les besoins de l'enfant et les revenus respectifs des deux parents". Il s'agit d'une "obligation alimentaire" : la première responsabilité des parents vis-à-vis de leur(s) enfant(s) doit être respectée.

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