Une prestation compensatoire de parentalité
En France, un seul dispositif permet de compenser, au moment de la séparation, la disparité « en conditions de vie » que la vie conjugale a créée : la prestation compensatoire. Elle est réservée aux divorcées et ne concerne plus, aujourd’hui, que celles des classes privilégiées : en juin 2000, une loi posant pour principe son versement sous forme de capital et non plus de rentes mensuelles a eu cet effet d’annuler l’effectivité de ce droit pour la majeure partie des femmes mariées. En 2013, une prestation compensatoire n’était plus accordée que dans un divorce sur cinq.
Il y a 24 ans, cette loi a reçu le soutien d’élues féministes. Elle l’aurait aujourd’hui encore : une majorité d’entre nous partageons la même conception "familialiste" de la prestation compensatoire comme de la pension alimentaire pour nos enfants. Nous la considérons comme une aide alimentaire post-séparation, dans la droite ligne du Code civil qui l'établit d'abord en fonction des besoins du conjoint lésé.
Nous partageons aussi largement la même croyance dans l'égalité formelle entre les sexes : à l'heure où les femmes réussissent mieux à tous les niveaux d'enseignement que les hommes, où elles sont plus diplômées, où elles accèdent à des postes de responsabilité... les inégalités du revenu du travail continuent d'être largement invisibilisées et sous-estimées à l'endroit même où elles se forment : la famille.
La parentalité est le premier facteur des inégalités économiques
Les chiffres, heureusement ou malheureusement, nous le rappellent : la parentalité est le premier facteur des inégalités économiques. 39 % des femmes changent, réduisent ou cessent leur activité professionnelle dans l’année qui suit la naissance d’un enfant. Et à chaque nouvelle naissance, les écarts de rémunération nette moyenne se creusent : 14,9% entre les femmes et les hommes sans enfant ; 21,7% entre les femmes et les hommes ayant un enfant ; 29,2% entre ceux ayant deux enfants ; et 42,8% entre les pères et les mères de trois enfants ou plus.
Voilà pourquoi, dans d’autres pays, comme au Québec où un régime d’union parentale s’appliquera à partir de juin 2025, la prestation compensatoire a toujours été perçue pour ce qu’elle est : une indemnité de rupture visant à réparer le dommage financier subi par les femmes dans la parentalité. Une juste compensation des inégalités économiques injustifiées entre hommes et femmes perpétuant l'assignation des uns et des autres à leur rôle de genre : maman s'occupe des enfants, papa ramène l'argent pour les nourrir.
Un outil de conscientisation et de responsabilisation parentale
L’institution d’une prestation compensatoire de parentalité serait un puissant levier de réorganisation de la vie parentale pendant la vie de couple. Outil de conscientisation des parents, elle inciterait les hommes à encourager la progression professionnelle de leur compagne au sein de la famille à un moment – la naissance d’un enfant – où cette question n’est le plus souvent même pas abordée.
Post-séparation, le versement de la prestation compensatoire de parentalité permettrait à des centaines de milliers de femmes et à leurs enfants de ne pas sombrer dans la pauvreté. Pour rappel, 45% des enfants vivant auprès d'une mère célibataire (soit 1,6 million de foyers) grandissent sous le seuil de pauvreté. Cette indemnité "de droit" permettrait de responsabiliser le parent débiteur quant au rôle qu'il a joué pendant la vie conjugale.
Évaluer la créance qui s'est accumulée tout au long de la vie de l'union parentale
Les critères élargis du bénéfice de ce nouveau droit de la famille, ainsi que ses modalités d'évaluation, seraient revus à l’aune d’une conception féministe du Code civil, qu'il faudra évidemment réformer. Il ne s'agit pas d'évaluer "le besoin" d'un parent post-rupture conjugale, mais bien "la perte financière" pré-rupture, la créance éventuelle d'un des parents vis-à-vis de l'autre, qui s'est accumulée tout au long de la vie de l'union parentale. La comparaison des revenus annuels respectifs déclarés aux services fiscaux N-1 avant une naissance avec ceux de l'année de la rupture pourrait servir de base au calcul du montant du dommage financier subi.
En 2012, une note du Centre d’analyse stratégique proposait de confier à un groupe de travail le soin d’étudier une semblable « compensation de parentalité […] en vue d’améliorer la cohérence des droits et des devoirs » entre parents séparés (1). Elle est tombée dans l’oubli. NVEF lance un appel à toutes les personnes – élues, juristes, sociologues, économistes, démographes, avocates, militantes féministes, associatives et syndicales – qui seraient prêtes à développer et porter cette proposition pour la remettre à l’ordre du jour militant et politique.
NVEF milite pour l'institution, dans le code civil, d'une prestation compensatoire de parentalité : une indemnité visant à réparer le préjudice économique subi par les femmes dans la parentalité. Cette mesure permettrait de compenser une partie des pertes financières sèches résultant d'une organisation familiale inégalitaire pendant la vie commune.
(1) Cette proposition est citée dans "Le genre du capital, comment la famille reproduit les inégalités", de Céline Bessière et Sibylle Gollac (éd. La Découverte, sept. 2022). La création de Nouvelle voie pour l'égalité familiale doit beaucoup à leur travail sociologique.