Pourquoi une grande loi sur la famille du XXIe siècle

Les configurations familiales ont profondément évolué ces 40 dernières années, avec un fait de société majeur : l’explosion du nombre des séparations parentales. Le législateur a tenté de s'adapter à ces évolutions : institution du Pacs, déjudiciarisation du divorce, aides ciblées pour les familles monoparentales...

Mais ces lois n’ont pas fait évoluer le fondement patriarcal des règles, inscrites dans le code civil, qui organisent les rapports privés et perpétuent, de ce fait, les inégalités entre les hommes et les femmes, notamment économiques.

Il y a ainsi un pourcentage – à quelques points près – que l’on retrouve à chaque étape de la vie d’une mère en France:

  • C’est la proportion des Françaises qui changent, diminuent ou cessent leur activité professionnelle dans l’année qui suit la naissance d’un enfant.

  • C’est l’écart des salaires entre les pères et les mères de trois enfants et plus.

  • C’est l’écart des pensions de retraite entre hommes et femmes (avant pension de réversion).

  • C’est le pourcentage « officiel » du nombre d’enfants vivant, dans les familles monoparentales, sous le seuil de pauvreté.

En réalité, la façon dont est évalué statistiquement le niveau de vie des foyers français fausse le niveau de pauvreté réel des familles monoparentales : près de la moitié des enfants qui grandissent auprès d’une mère célibataire (soit 1,6 million de foyers) sont pauvres.

Fonder la famille féministe de demain

Nous, féministes, connaissons les leviers qui permettraient de lutter efficacement contre cet appauvrissement systémique des mères.

Porter une grande loi sur la famille du XXIe siècle, c'est donc réunir l'ensemble des revendications en faveur de l'égalité familiale qui se font jour depuis une vingtaine d'années en France.

Nous proposons de donner un cadre à certaines de ces revendications en instituant un contrat civil d'union parentale,

Ce nouveau cadre civil s’appliquerait de facto à toutes les unions dont un enfant serait né. En l’absence d’un second parent, les droits "théoriques" de celui-ci seraient transférés, lorsque cela est possible, au parent unique.

Compenser les inégalités économiques nées dans la parentalité

A l'intérieur de ce cadre, nous proposons de renouveler deux dispositifs de compensation financière des inégalités économiques familiales, qui naissent et se creusent dans la parentalité.

  • Une prestation compensatoire de parentalité : pour dédommager le parent qui a subi un préjudice financier dans la parentalité. Il s'agit d'étendre le bénéfice de la prestation compensatoire, aujourd'hui réservée aux divorcé.e.s les plus aisé.e.s, à l'ensemble des couples parentaux, qu'ils soient mariés, pacsés ou en union libre.

  • Une contribution parentale : pour en finir avec le scandale des pensions alimentaires en France. Il s'agit de revoir entièrement les modalités de fixation et de traitement socio-fiscal de l'actuelle contribution à l'entretien et l'éducation des enfants (la pension alimentaire) en la systématisant, avec son prélèvement à la source.

Il s’agit, in fine, de responsabiliser l’ensemble des citoyens en accordant de nouveaux droits et devoirs à toutes les familles, quelle que soit leur configuration (monoparentale, homoparentale, biparentale et/ou recomposée) et indépendamment du statut conjugal des parents (Pacs, mariage, union libre).

Pour la liberté d'enfanter ET de travailler (ou pas)

Une grande loi sur la famille du XXIe siècle aurait pour objectif de compenser, autant que la réalité et l’organisation sociale le permettent, les inégalités familiales à la source et de mieux protéger les femmes et les enfants.

En décembre 2023, loi « plein emploi » a intégré un article jetant les bases de l’édification d’un service public de la petite enfance. A l’inverse, cette grande loi créerait les conditions d’un meilleur accès à l’emploi des femmes.

Car, si l'emploi ne permet pas toujours à une mère seule d’échapper à la pauvreté (2), il reste encore le plus sûr moyen d’y parvenir. Et lorsqu'une mère célibataire travaille, elle a d'autres solutions que celle de se remettre en couple – c'est-à-dire de retrouver un "père putatif" – pour sortir ses enfants de la précarité.

Parce que les affaires familiales sont une affaire d'Etat

En 2024, il n'est plus acceptable que la vie privée des femmes soit ainsi gouvernée, indirectement, par le refus tacite de l'Etat d'intervenir dans les "affaires familiales" et donc de réguler les termes financiers de la vie parentale, pendant comme après la séparation conjugale. Le privé est politique. Il est l'heure, pour le législateur, de l'intégrer dans nos codes pour faire évoluer nos institutions.

(1) En 2022, 65% des enfants vivant en France sont nés hors mariage. Insee, statistiques 2022

(2) Une mère seule en emploi sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Voir, notamment, les travaux d'Oriane Lanseman, doctorante en économie et Clémence Hefter, chargée de recherche et d’évaluation à la DREES et la CNAF.

40%

Le modèle patriarcal de la famille, qui inspire toujours nos lois, ne fonctionne plus. Et pour cause : ce n’est plus l’institution du mariage qui fonde la famille, mais les enfants (1). Ce sont donc les rapports parentaux – et non plus conjugaux – que la loi doit encadrer.